Journal intime d'un touriste du bonheur

Journal intime d’un touriste du bonheur

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C’est l’histoire d’un golden boy qui laisse tout tomber. Il semblait tout avoir pour être heureux : l’argent, une position enviable … Mais cette vie artificielle ne lui convenait pas. Pour preuve il souffrait de plusieurs addictions parmi lesquelles il comptait les drogues, y compris les drogues dures.

Au début de son livre intitulé « Journal intime d’un touriste du bonheur« , on le retrouve en Inde où il est venu essayer de se remettre de la douleur provoquée par la rupture avec la femme de sa vie. Mais la motivation avouée de ce séjour en Inde est la quête du bonheur. Après avoir beaucoup lu sur le thème du spirituel il a décidé de tenter une expérience en grandeur nature. En l’occurrence, un séjour en résidence à raison de dix heures de méditation Vipassana par jour pendant dix jours, dans le silence absolu et sans aucun contact avec le monde extérieur.

Ce témoignage est relaté avec une certaine truculence et un humour sous-jacent très agréable qui font que les douleurs physiques générées par une position immobile prolongée et le souvenir de son amour déçu éveillent la compassion du lecteur sans pour autant l’empêcher de sourire.

Il sort de cette expérience transformé mais pas éveillé. Ainsi lui qui se délectait par avance du séjour touristique qu’il avait programmé à la suite de son stage de méditation Vipassana déchante vite. Le regard critique qu’il porte sur le toc et le factice des rituels, spirituels ou non, le propulse vers la recherche d’une démarche plus authentique, ce qui le conduit tout droit vers l’ashram d’Amma. Mais le lieu ne fait pas tout. Le fait de poser son sac chez Amma ne change rien à ses problèmes qu’il trimbale partout avec lui : « Je sais que ma colère n’a pas grand chose à voir avec Amma, qu’elle est le fruit d’un dilemme intérieur. Quand Jasmine et moi avons rompu, je ne lui ai pas seulement dit au revoir à elle, j’ai aussi abandonné un certain mode de vie. J’ai dû regarder en face ce côté superficiel si prononcé chez moi, et qui a si longtemps dirigé mon existence ».

Le témoignage de ces quelques jours passés dans l’ashram sont l’occasion de découvrir une organisation très hiérarchisée basée sur le travail bénévole et souvent ingrat demandé aux résidents. Et puis, il y a la récompense, le darshan : « L’idée derrière tout ça, c’est qu’Amma est un être à part – un être « éveillé », selon sa propre description et celle de ses fidèles -, et que son étreinte communique l’amour inconditionnel : ce câlin, en gros, c’est une décharge d’amour pur ».

En parallèle, suivant une motivation personnelle, notre diariste s’auto-initie à l’amour tantrique. Sans tabou aucun, il explique la méthode permettant à l’homme d’atteindre l’orgasme en retenant son éjaculation. Et il n’hésite pas à décrire son expérimentation avec ses réussites mais également ses échecs.

Plus loin, après avoir rappelé que « la chance d’aujourd’hui est la magie d’hier », il s’essaie à mettre en œuvre une loi de la nature qui fonctionne mais que la science n’a pas encore expliquée : « (…) Tout ça pour dire qu’il y a une chose indémontrée dont je suis convaincu, c’est que la pensée crée de la matière et que cette matière permet de donner forme à nos désirs. C’est le phénomène connu sous le nom de « loi de l’attraction » : ce sur quoi je concentre mon énergie mentale va se matérialiser. (…) Un soir donc (…) je demande à l’univers : « S’il te plaît, je veux du sexe ». Le soir même je rencontre Mylène. Deux jours après, on fait l’amour. Et c’est génial ».

Sans que cette idée soit formulée clairement, le lecteur perçoit clairement que ce journal constitue l’expression écrite d’une auto thérapie. Alors forcément, à force d’avancer, à force de dévisser les verrous des concepts qui enserraient sa vie d’avant, il finit par se retrouver un peu perdu : « Rien à faire et nulle par où aller ». Sa réflexion le pousse à mentionner la notion d’hédonisme qui peut s’exprimer par un phrase toute faite : on s’habitue à tout. Si l’on finit par s’habituer au pire, « l’adaptation hédonique nous familiarise aussi avec le positif, et nous fait donc prendre pour acquises ces choses dont on rêvait avant de les obtenir (…). Et c’est pour ça qu’on peut, sur une plage merveilleuse comme celle-là, être physiquement au paradis et mentalement au purgatoire.

Le paradis et l’enfer sont des états d’esprit ».

Cette dernière phrase le conduit une nouvelle fois à se référer à Eckhart Tolle, son maître à penser qui explique « comment la mauvaise compréhension du concept de « péché » a dénaturé notre compréhension de la pensée de Jésus. « Pécher, selon Jésus, c’est manquer l’objectif : c’est passer à côté du but de la vie, qui est d’honorer le divin en autrui et en soi-même, de s’aimer soi et d’aimer l’autre ».

Si les prises de conscience de Jonathan Lehmann paraissent parfois banales, à d’autres moments elles se montrent beaucoup plus profondes. Il fait souvent référence à son éducation juive. En particulier il explique comment sa conception de la fête de Pessah a évolué pour finalement découvrir qu’il s’agit « d’un rite pour le rite, et que l’on pratique le plus souvent sans se soucier de la raison pour laquelle on le fait ». Il explique que cette attitude l’a beaucoup dérangé chez Amma où, dit-il, le rite a pris le pas sur un réel travail personnel. « C’est justement l’inverse que j’ai aimé chez Goenka (méditation Vipassana) : la quasi absence de rite. Une pratique simple, dont l’objectif nous était clairement expliqué dès le départ : faire ressortir les impuretés mentales, apprendre à vivre l’instant présent, se débarrasser des souffrances (…) ».

Puis il ajoute : « Si le but de la religion est de nous rendre heureux, le rite doit rester un moyen. Quand le rite devient une fin en soi, il nous dispense de réfléchir sur nous-même, et de faire des efforts pour devenir une meilleure personne, nous aimer nous-même et aimer autrui. Ce qui nous amène à la grande question : est-ce qu’on a vraiment besoin de religion pour ça ? ».

Après quelques considérations basiques sur les pensées qui viennent hanter nos méditations, il aborde le thème de la peur. Avec une idée originale, au lieu de fragmenter la peur : peur de ceci, peur de cela … il considère la peur comme un concept unique qui fait partie de nous. Il donne le conseil de prendre du recul afin de pouvoir l’observer : « La peur en nous est comme un bébé qui pleure : parfois il a besoin d’une réponse concrète et précise ; mais, le plus souvent, il veut juste qu’on lui donne de l’amour et qu’on lui dise que tout va bien se passer ». Au passage il cite Montaigne : « Qui craint de souffrir, il souffre déjà de ce qu’il craint ».

En un temps où il existe une sorte de snobisme spirituel, c’est à dire une mode artificielle qui incite nos contemporains à consommer du spirituel sans vraiment s’impliquer, Jonathan Lehmann en arrive à se poser les bonnes questions : « Mais j’ai compris que mon travail spirituel en ce moment, ce travail sur moi pour mieux appréhender la question du bonheur, n’avait pas besoin de se passer dans tel ou tel ashram. Qu’au contraire, ce dont j’avais besoin était de ne pas bouger, afin de mieux accueillir la sensation de vide et de laisser remonter ce qui doit remonter. C’est fou : j’ai l’impression de n’avoir jamais autant avancé que depuis que je suis immobile ».

A propos des ashrams justement, sous la plume de Jonathan Lehmann, on a l’impression qu’ils mettent en avant des techniques de marketing pour attirer les clients. Après l’ashram Goenka, qui propose des marathons de méditation, nous découvrons l’ashram Amma qui accorde, semble-t-il, plus d’importance aux apparences qu’au travail de fond, puis Jonathan Lehmann mentionne le « Club Méditation d’Osho (une sorte de club de vacances méditatif) » ainsi que le « Surf Ashram, qui est, comme son nom l’indique, un ashram où l’on surfe ».

C’est ainsi que l’on découvre que, si ce dernier associe spiritualité et surf, l’ashram d’Osho qui pratique des prix très élevés, associe la spiritualité et le sexe. Jonathan Lehmann présente le système de pensée d’Osho : « Voilà justement le message d’Osho : on fait passer quelque chose de naturel et de central dans la vie (le sexe) pour quelque chose de sale, d’obscène, que l’on devrait cacher. De cet interdit découlent toutes nos obsessions, toutes nos perversions. Si on apprenait à banaliser le sexe, à en parler normalement, à l’explorer comme on explore des recettes de cuisine, on pourrait le dépasser : ne plus en être obsédés au point de concentrer toute notre énergie dessus. Et cette énergie, pouvoir la dépenser ailleurs, de façon plus saine et productive ».

Décidément, plus on avance dans la lecture de ce livre et plus le parcours de l’auteur ressemble à un butinage spirituel ou plutôt du « shopping spirituel » comme il dit. Et plus ce voyage prend les aspects d’une thérapie nécessitée par la perte récente du père, par un chagrin d’amour et, de façon plus subtile, par une quête de vérité liée à un vécu personnel et familial. Justement, Jonathan enchaîne par une expérimentation des constellations familiales. Cette expérience lui fait beaucoup d’effet semble-t-il. Mais au final, quel bénéfice retire-t-il de toutes ces expériences ? « Je ne sais pas si c’est le résultat de l’hypnose, du darshan, de la méditation, de la constellation, du surf ou du tantrisme, mais en tous cas y a un truc qui fonctionne bien dans ce voyage ».

Comme il s’agit d’un journal intime, inévitablement Jonathan Lehmann finit par se livrer. On le découvre un peu immature et même superficiel (c’est lui qui le dit). Pourtant ce voyage de tourisme spirituel finit par faire son effet. En guise de conclusion à ces notes je relève un ultime paragraphe : « Voilà. J’avais arrêté de chercher un ashram. Et je ne pensais pas que je cherchais un gourou. Tout le monde en Inde dit que, quand le disciple est prêt, le gourou apparaît. C’est, je crois, ce qui m’est arrivé. J’avais sans doute besoin de faire tout ce périple, de purger la douleur de ma rupture, d’apprendre toutes les leçons que j’ai apprises pour être prêt à renaître. Car, aux côtés de Prem Baba, c’est exactement ce que je ressens : une renaissance ».

Jonathan Lehmann termine son ouvrage par une présentation de ce qu’il appelle « Mes trois habitudes de bonheur ». Je note en souriant que ce petit addendum est symptomatique du personnage qui se décrit lui-même comme égoïste et narcissique. En effet, chacune de ces trois présentations, après avoir exposé le sujet de façon générale se termine par un paragraphe intitulé « Personnellement ». Décidément ce touriste spirituel ne peut s’empêcher de toujours tout ramener à lui.

Pour en revenir à ses trois habitudes, il s’agit de, selon sa terminologie :

  • La méditation
  • La gratitude qui consiste, de façon quotidienne, à noter et exprimer sa reconnaissance pour tous les évènements heureux qui se sont produits depuis la veille.
  • Sortir les poubelles mentales. Il s’agit, de façon quotidienne également, de noter toutes les pensées qui traversent notre esprit. Le but est de les extérioriser au lieu de les ruminer en soi.

Quand à la méditation, sa façon de présenter le sujet est très stimulante pour l’inclure dans notre routine quotidienne. Tout d’abord il rappelle que le mental est compulsif, qui nous amène sans arrêt dans le futur ou le passé en nous empêchant de nous focaliser sur l’instant présent, ce qui est générateur de toutes sortes d’émotions négatives : peur, colère, stress … Puis il ajoute « Pratiquer la méditation nous apprend à remettre le mental (…) à sa place d’objet. La méditation est un hygiène essentielle du cerveau (…). Dix minutes par jour suffisent pour ressentir un changement dans notre appréhension du monde. Le plus important, pour ressentir les bienfaits de la pratique, est de méditer un peu chaque jour ».

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